Message aux lecteurs : le journalisme indépendant, un beau métier !
In editoEdito du magazine n°85 d’En-Contact
J’ai été marqué ce mois-ci par la rumeur, trop vite relayée, de la mort de Martin Bouygues, et par les fausses-vraies photos retouchées de Cindy Crawford – qui semblaient prouver que l’âge atteint même les plus belles femmes. Encore plus de découvrir que cette dernière information fut parmi les plus lues et partagées, y compris dans les journaux économiques sérieux tels les Echos. Et si, finalement, nos 73 millions de téléphones mobiles, le règne du digital, la capacité à aller très, très vite n’avaient pas éteint quelques angoisses existentielles : y a-t-il des choses qui durent vraiment ? qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux parmi ces millions d’informations que nous pouvons recevoir chaque jour ? Sur quoi fonder nos décisions, nos engagements les plus intimes, quand tout semble « fake » et trompeur et que la technologie contribue tellement à ces mensonges ? Les jambes des mannequins furieusement
allongées sur la couverture des magazines, les cours de bourse trafiqués et pourtant certifiés par des groupes d’audit reconnus, la valorisation de trois slides PowerPoint érigés en start-up du siècle, les chiffres du chômage… Aller vite et raconter n’importe quoi ne nous mènera nulle part. Parfois même, tant de mensonges, de faussetés, nous blessent irrémédiablement. Plus jeune, j’ai adoré les strophes du Cœur volé d’Arthur Rimbaud (mai 1871), dans lesquelles le poète, bien qu’il n’ait que dix-huit ans, se demande comment agir quand notre cœur a été « endommagé ».
Mon triste coeur bave à la poupe,
Mon coeur couvert de caporal :
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste coeur bave à la poupe :
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire général,
Mon triste coeur bave à la poupe,
Mon coeur couvert de caporal !
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l’ont dépravé !
Au gouvernail on voit des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques.
Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon coeur, qu’il soit lavé !
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l’ont dépravé !
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô coeur volé ?
Ce seront des hoquets bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques :
J’aurai des sursauts stomachiques,
Moi, si mon coeur est ravalé :
Quand ils auront tari leurs chiques
Comment agir, ô coeur volé ?
Les quolibets évoqués par Rimbaud continuent de nous entourer, de nous « endommager ».
C’est pour ces raisons, qui m’apparaissaient bonnes il y a quatorze ans, que j’ai créé un magazine consacré à l’industrie du service client, des centres d’appel, devenue celle de l’expérience client : pour la raconter, essayer de la décrypter, et évoquer les gens qui la peuplent, éloignés et méconnus des médias et dont je pressentais qu’ils ne finiraient jamais en couverture ou en haut de l’affiche. Invisibles, ne rapportant pas des milliards, deux terribles malédictions aujourd’hui ! J’aurais pu (aurais-je dû ?) choisir un secteur beaucoup plus glamour, que ceci m’aurait permis une large diffusion, des annonceurs plus prestigieux… Mais non, je n’ai pas de regrets, je préfère ma petite flaque, tout comme le poète voyant à la fin du Bateau Ivre, lequel, après avoir voulu changer le monde avec des mots, doit revenir à des ambitions … plus modestes.
Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache.
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Ces raisons m’apparaissent encore meilleures aujourd’hui : SalesForce peut, à coups de milliards, « s’acheter » temporairement la ville de San Francisco lors de sa conférence annuelle que ça ne prouverait pas pour autant que son logiciel de CRM est le meilleur de la place ! Il s’attache simplement des fans et des prescripteurs. Uber peut à la fois révolutionner la mobilité en ville et s’asseoir sur toutes les réglementations en vigueur. La question est : pourquoi la société française met-elle tant de temps à évoluer, pourquoi l’argent permet-il si longtemps de différer le respect de la loi ? Axelle Lemaire, Secrétaire d’Etat chargée du numérique, va recevoir le 1er avril à 10h30 le champion Taïg Khris, qui vient d’inventer une application maline « On Off », autour du projet d’application « Cloud Numbers ». C’est ce qu’indique son agenda. J’ai cru à un poisson d’avril, mais non ! Ce qui est important c’est de s’afficher, avec des « djeuns », de faire croire qu’on agit. Dans la famille Je-raconte-qu’on-fait-des-choses-et-je-m’intéresse-aux-clients, je voudrais la carte du banquier, frappé du même syndrôme. En résumé, je crois encore plus important aujourd’hui qu’il y a quatorze ans, et surtout après avoir vu Citizenfour (l’incroyable documentaire sur Edward Snowden de Laura Poitras), à la nécessité de journaux indépendants, où l’on raconte les belles histoires, celles plus compliquées, le réel.
David Carr, célèbre journaliste du New York Times, l’explique encore mieux que moi. Dans un discours prononcé à Berkeley, en 2014, lors de la remise des diplômes aux futurs journalistes. En voici quelques extraits*. Puissent ce discours et ces vers vous convaincre d’abandonner deux minutes votre smartphone, de lire un peu de poésie ou … d’aller à Berkeley. Bonne lecture !
* la version complète est disponible sur notre site web. Merci au site d’édition www.ulyces.co, « éditeur d’histoires vraies » comme il se présente, qui essaye de remettre au goût du jour l’art du récit long, des enquêtes à l’américaine, et qui nous a permis de découvrir ce discours !
Tout peut changer !
Dans son nouvel opus (640 pages !), Naomi Klein, qui s’était notamment fait connaître avec No Logo : La tyrannie des marques, adresse un message positif, comme si dans ces temps d’urgence, l’optimisme était déjà un élément du succès. Nous avons conçu ce numéro 86 en nous inspirant de ce message d’espoir et en changeant beaucoup de choses nous aussi :
- Les articles sont désormais regroupés en catégories qui permettront de mieux aiguiller le lecteur : Opinion, Actualités, Tendances, Enquête, Reportages, Nominations, Chiffres.
- Nous reprenons, en les citant, des articles lus et appréciés lors de nos pérégrinations, en intégralité, parce que nous savons que, parfois, ils ont pu vous échapper tant le temps manque. La moitié d’entre vous n’ont même plus le temps de lire leurs emails ! On démarre d’ailleurs la série des Reportages avec une mise-en-jambe rafraîchissante de Marc-Arthur Gauthey, fondateur de Start-Up Assembly et de OuiShare, qui semble nous dire qu’évoquer le danger de se faire uberiser, c’est faire du neuf avec du vieux.
- La voix du client change tout : elle permet de transformer l’entreprise. C’est notre dossier du mois.
- Reportages : de Madagascar à Marrakech, en passant par Las Vegas, nous avons eu la chance ces derniers mois de visiter quantité de pays, de rencontrer de nombreux nouveaux acteurs du secteur, guidés tous, apparemment, par une forte volonté de transformer les pratiques. Ceux qui sont mentionnés ont déjà fait leurs preuves, il ne vous reste plus qu’à lire, et les appeler si vous voulez transformer l’expérience client, shopping, utilisateur ou entamer un « tchat » !
- Notre magazine n’est et ne sera pas distribué gratuitement, à l’entrée du salon Stratégie Client, car nous ne croyons pas à la gratuité, qui a amené tant de groupes de presse à l’état de délabrement constaté. Vous pouvez, par contre, le recevoir, en vous abonnant, comme à nos deux lettres d’information, Plates-Formes, ou the Seamless Experience Fanzine (the-seamless-experience-fanzine.com) … ou le trouver en exclusivité sur les stands de quelques partenaires (Viavoo, Vivetic, Vocalcom, Avencall, ViteMaHotline-Greenbureau, VIPP Interstis, ADM Value). Après le click-to-shop, le web-to-stand !